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Colloque "République et Judaïsme" : le discours d'Hervé Morin

Le 5 février 2009 dernier avait lieu un colloque organisé par François Kahn et Alain Krief, deux amis aux côtés desquels j'ai eu le plaisir de livrer bataille lors des dernières municipales. Son thème : "République et Judaïsme".

En présence du grand rabbin de France, du grand rabbin Haïm Korsia, du Président du Consistoire central et du Président honoraire du Consistoire central, cet événement a été marqué par l'intervention d'Hervé Morin, ministre de la Défense, invité d'honneur de ce colloque. Je vous propose de retrouver ci-après son discours de clôture des débats.


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Monsieur le grand rabbin de France,

Monsieur le grand rabbin Haïm Korsia,

Monsieur le Président du Consistoire central,

Monsieur le Président honoraire du Consistoire central, Cher Jean Kahn,

Messieurs les présidents,

Mesdames et messieurs, Chers amis,

C’est un plaisir et un honneur pour moi de vous retrouver ici pour clore ce colloque sur République et Judaïsme, et dans ce lieu, l’Ecole militaire, qui se prête si bien au thème de notre colloque puisque c’est ici même que Dreyfus, capitaine d’honneur, fut dégradé en 1895, puis décoré le 21 juillet 1906, au terme d'une« affaire » qui divisa profondément notre pays mais qui permit, au final, de rendre justice. 

Je veux remercier tout particulièrement mon ami François Kahn, ainsi qu’Alain Krief, qui ont pris l’initiative d’organiser cette rencontre. Mes remerciements s’adressent également au Président du Consistoire central, cher Joël Mergui.

République et Judaïsme. Revenons tout d’abord un instant sur le sens des mots. 

Le terme de « judaïsme » n’existait pas dans l’hébreu ancien. Les juifs parlaient de la Torah – les instructions de Dieu données à Israël – qui révèle une vision du monde et aussi un mode de vie. Le judaïsme ne se limite pas à la dimension religieuse. Il fait appel à un code de conduite, à des rites et à des coutumes qui ne relèvent pas uniquement de l’ordre du religieux. Le judaïsme, c’est le respect de la loi, c’est aussi une très forte implication de la famille et la priorité donnée à l’éducation. Le judaïsme, c’est une haute idée de la culture de l’écrit. Or, la lecture et l’écriture sont les éléments fondateurs de l’esprit critique. Ce sont aussi des éléments fondateurs de la citoyenneté.

Quant à la République, pour reprendre la définition qu’en donne Victor Schoelcher, elle est ce régime qui n'entend plus faire de distinction dans la famille 
humaine. Ce régime qui n'exclut personne de son immortelle devise « liberté – égalité – fraternité », à laquelle je veux ajouter la démocratie et la laïcité. Gouvernée par l’intérêt public, la République porte en elle-même une vertu précieuse: celle d’être le seul 
régime qui est perfectible par nature et qui l’assume.

Mes Chers amis,

Chacun d’entre nous, qu’il soit croyant ou non, qu’il soit pratiquant ou non, s’est retrouvé un jour face à ce dilemme : concilier croyance, philosophie, morale ou convictions personnelles avec le fonctionnement nécessairement contraignant de la vie en société et la laïcité de l’Etat, sa neutralité en quelque sorte.

Mais aujourd’hui, nous ne pouvons plus rester sur le seul terrain philosophique et moral. De plus en plus souvent, le fait religieux – je ne parle pas de la foi –empiète sur le débat public ; ce qui devrait relever strictement de la sphère privée, des convictions personnelles et des pratiques qui peuvent en découler interfère dans les affaires publiques, mettant parfois à mal l’esprit de la République et le principe de respect mutuel des opinions. Je pense notamment au prosélytisme religieux dans les enceintes scolaires ou encore au refus de la mixité dans l’exercice de certaines activités sportives.

Si l’on revient aujourd’hui à la religion, c’est parce qu’elle apparaît souvent comme une réponse au  matérialisme aliénant de notre société de consommation et à la perte des repères traditionnels que sont notamment la famille ou l’école. 

Mais quand Malraux nous prédisait un siècle religieux, imaginait-il la montée en puissance des intégrismes ?

Là est la question, et je vous la pose d’autant plus volontiers que depuis 200 ans, en France, le judaïsme y a apporté constamment, loyalement, obstinément, une réponse en forme d’antidote, pertinente et éclatante : laïcité, patriotisme, intégration et enracinement.

Judaïsme et République font depuis 200 ans bien plus que cohabiter : ils vivent ensemble, se nourrissent l’un de l’autre. L’itinéraire du Grand rabbin Jacob Kaplan, à qui le Grand rabbin Korsia a consacré une remarquable biographie, est l’illustration éclatante de la vie d’un homme, le « Rabbin de la République », qui a fait honneur au judaïsme et à la République en même temps.

Entre judaïsme et République, c’est en effet une longue histoire, que la communauté juive vit sur le mode de la mémoire affective, intime. Je ne pense pas seulement au devoir de mémoire, cette repentance que  la République se devait d’assumer, pour avoir failli si tragiquement en renonçant à ses valeurs fondatrices et en devenant « l’Etat français ». Je pense aussi à la mémoire de tous les combattants juifs, de toutes nos guerres. Durant la Première Guerre mondiale, 40 000 Juifs furent mobilisés, 7 500 tués au combat et 3 800 récompensés par des citations militaires. La plupart, même pas encore naturalisés français, s’étaient engagés sans hésiter dans ces bataillons « étrangers » qui subirent les plus lourdes pertes. 

Pour honorer leur mémoire, je serai présent, le 12 mai prochain, à la cérémonie de commémoration des soldats juifs tombés pour la France, au pied de l’Arc de Triomphe, et en juin à Douaumont. 

Morts pour la France, une France qui ne se doutait pas à quel point elle avait été idéalisée, combien pour ces juifs venus d’Europe centrale, ces immigrés d’un autre temps, il n’y avait, pour échapper aux persécutions, que la France : « heureux comme Dieu en France » disait-on d’un bout à l’autre de l’Europe.

Un monument, érigé par le Consistoire en 1938 près de l’ossuaire de Douaumont, rend hommage à tous les combattants juifs, français et étrangers, morts pour la France pendant la Grande Guerre. Mais qui, en dehors de la communauté juive, le sait ? 

Mesdames et Messieurs, pas un seul d’entre vous renierait aujourd’hui le destin tragique mais si hautement symbolique de Marc Bloch. 

D’origine alsacienne, sa famille a choisi la France en 1871. Lui, combat en 14-18 (5 citations), il combat ensuite dans la «drôle de guerre» jusqu’en juin 40, résiste activement ensuite, avant d’être fusillé en 44. Ecoutons-le dans L’étrange défaite à propos de la France : « j’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux ». Notre « étrange défaite », aujourd’hui, serait de laisser penser qu’une appartenance culturelle ou religieuse serait incompatible avec un attachement viscéral à la République ; que la liberté, comme dans le tableau de Delacroix, ne guide pas tout notre peuple. 

Mes Chers amis, 

La responsabilité de la République, comme celle des religions – de toutes les religions – c’est de maintenir ce lien de confiance réciproque qui s’affermit dans une complicité toujours plus grande au fil du temps.

Ce n’est pas parce que Pierre Dreyfus, le fils d’Alfred, combattit sous les drapeaux dix ans à peine après la réhabilitation de son père que l’affaire Dreyfus était effacée. Un demi-siècle plus tard, malheureusement, le destin tragique des juifs français devait le confirmer.

Mesdames et Messieurs, 

Quand la République est débout, il y a l’affaire Dreyfus mais Dreyfus est innocenté et réhabilité parce qu’il est défendu par des Républicains qui ont la liberté de s’associer, de publier, de pétitionner, d’interpeler. Et ils le font au nom de la Déclaration des l’Homme et du Citoyen.

Mais, Mesdames et Messieurs, quand la République faiblit et disparaît, les juifs peuvent redouter le pire.  

Le modèle républicain a finalement triomphé et il nous appartient de continuer à le défendre.

- Le défendre et plus encore le fortifier et le raviver  face à l’instrumentalisation des religions et aux ravages d’un fondamentalisme qui trouble les nations, qui les divise et qui les menace

- Le défendre et plus encore le renforcer pour éviter que le retour du religieux ne se transforme en repli identitaire qui signerait la fin de la Res Publica. L’identité religieuse ne doit pas être un substitut à l’absence de reconnaissance citoyenne dont souffre une partie de la population et à laquelle il faut bien sûr répondre, précisément par des mesures actives et renouvelées d’égalité des chances qu’offre la République.

A l'heure des explosions identitaires et de leurs récupérations idéologiques, les religions doivent contribuer à consolider la République, à l’aider à préserver l’unité de notre communauté nationale. Nous devons refuser une société fragmentée, parce que les principes de la République, eux, ne se divisent pas sous l’autorité de la loi qui doit continuer d’être la même pour tous. Et cela, nous le partageons.

Veillons ensemble à ce que l’ère de la mondialisation n’ouvre pas chez nous de nouveaux espaces  de divisions et d’oppposition entre communautés religieuses. C’est cela qui fragiliserait la République. C’est cela qui nous diviserait, provoquant des confrontations altérant l’unité nationale et menaçant la République.   

Travaillons ensemble, Mesdames et Messieurs, à rapprocher nos compatriotes les uns des autres. Et pour cela, vous le savez, nous devons sans cesse réapprendre le respect, combattre les préjugés, combattre par l’éducation, par la culture et par l’action civique les sentiments les plus détestables : l’antisémitisme, le racisme. Veiller à transmettre, de génération à génération, la vérité de notre Histoire, sa part glorieuse comme sa part la plus sombre. Combattons ensemble le négationnisme, ignoble infâmie qui, aujourd’hui encore, fait injure à la mémoire des survivants de la Shoah et, au-delà, fait injure à l’Histoire de l’humanité.

L’esprit de la Constituante doit continuer à souffler sur la France. C’est la Constituante, dans le droit fil de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui a mis fin au régime discriminatoire qui, depuis des siècles, était imposé aux Juifs.  

Mesdames et messieurs,

Protégeons la laïcité. Soyez-en sûrs, en retour, elle nous protégera.  La laïcité, ce n’est pas seulement un ensemble de principes collectifs, c’est aussi pour chaque individu, une école de tolérance.

De deux siècles de chemin parcouru ensemble est née cette conviction, profonde et commune : c’est la République qui proclame et garantit la liberté des consciences, c’est la laïcité qui en permet l’expression pluraliste et pacifiste. 

Ces deux siècles de chemin parcourus ensemble ont donné le jour à une complicité dont nous pouvons être fiers et qui fait que la France peut s’enorgueillir de compter en son sein la première communauté juive d’Europe. 

Notre histoire commune est celle d’une émancipation réussie qui illustre de façon exemplaire la possibilité pour n’importe quelle religion de respecter les lois de la République sans se renier elle-même.  

Soyons fiers encore de n’avoir pas à demander à nos compatriotes de choisir entre la République et une religion. L’ingéniosité de notre modèle républicain c’est d’offrir à chaque individu la possibilité de vivre toutes les dimensions de son existence de façon libre, pacifique et pour tout dire harmonieuse. 

La laïcité est la clé qui ouvre les portes de la tolérance, de la paix, du bien commun. 

Tirons en des leçons. Des leçons de dialogue et de respect, des leçons de confiance, des leçons d’espoir aussi. 

Admettons-le, ce n’est pas un républicain qui, il y a deux cents ans, nous a montré la voie. 

C’est Napoléon Ier, grand législateur et, vous comprendrez que je tienne à le souligner, grand stratège militaire.

Mesdames et messieurs, ce passé commun nous oblige. 

L’attachement de la communauté juive à notre pays, sa reconnaissance envers les principes de la République ont été constants, et indéfectibles. En retour, la République s’est engagée à protéger tous ses enfants, la liberté de leurs convictions, de leurs croyances, de leurs consciences, le respect de leur culture.

L’Etat cesserait d’être républicain s’il venait à relâcher ses efforts et ce lien. Et l’Histoire nous l’a prouvé. Je vous le dis, rien n’est plus important que l’éducation.  Et le drame est parfois de juger cette idée banale. Car l’éducation, transmission du savoir et de la culture, c’est le ferment d’une nation forte et apaisée, qui assume son passé, qui combat les préjugés, qui promeut l’ouverture d’esprit, qui fait aimer la différence. L’éducation, c’est le ferment d’une nation qui rassemble, et qui regarde avec sérénité devant elle. 

Je vous remercie.

Commentaires

Il est des mots que nous aimerions tant ne pas avoir à les repeter tant ils devraient habiter l'esprit de tout citoyen.
Mais merci Monsieur Le Ministre de les avoir prononcés.

Écrit par : Bernard ATLAN | vendredi, 27 février 2009